26 octobre 2020

Jina Djemba, bouleversante dans Miss Nina Simone

Miss Nina Simone raconte la fin de vie d’une immense artiste, Nina Simone (1933-2003) une femme noire américaine, contemporaine et compatriote d’une autre légende de sa génération : Joséphine Baker (1921-1975), elle aussi à l’affiche du théâtre la Scène Parisienne.

Jina Djemba incarne Nina Simone dans Miss Nina Simone au TLSP. (c) TLSP

Miss Nina Simone : la déchéance d’une star oubliée …

Mise-en-scène par Anne Bouvier et Jina Djemba qui incarne non seulement Nina Simone mais est aussi co-auteure de cette adaptation du roman de Gilles Leroy, tout comme le livre, la pièce commence par la fin.

Fin de vie, fin du succès de cette immense star recluse à Marseille dans une villa plongée dans l’obscurité à cause de ses nombreuses crises de migraine. Elle y vit seule avec un vieux chien Shalom et quelques hérissons morts qui jonchent une piscine verdâtre mal entretenue. Seule avec ses démons, sa collection de paires de chaussures aux talons vertigineux. Seule avec ses excès de colère, ses rires nerveux, que la musique classique de Bach, Debussy, ou encore Mozart apaise.

La pièce montre la Diva Miss Nina Simone vieillissante, femme autoritaire, aigrie, qui vacille entre crise de larmes et excès d’euphories, star déchue qui préfère boire du champagne que son traitement de lithium pour combler son immense solitude.

Jina Djemba incarne Nina Simone dans Miss Nina Simone au TLSP. (c) TLSP

Fâchée avec ses enfants, et n’ayant plus d’hommes (qui l’ont trop fait souffrir) dans sa vie, il ne lui reste comme seule compagnie quelques domestiques de maison, et notamment un jeune homme dénommé Ricardo interprété par Valentin de Carbonnières qu’elle embauche à son service et malmène avec tendresse en lui donnant le sobriquet de « Petit cul » !

Il est véritablement question de solitude dans cette pièce qui interroge sur l’après-succès, qui est très souvent une période très mal vécue par les stars plongées soudainement dans l’ombre. Que se passe t-il quand les rideaux se ferment et que l’on se retrouve seule devant son miroir dans les loges à se démaquiller ? On assiste à l’écroulement physique et moral d’un monstre sacré qui se nourrit des applaudissements du public et n’a plus la force de continuer quand ceux-ci se font plus rares.

Sur scène Jina Djemba incarne avec force toutes les facettes de la personnalité complexe de Nina Simone jugée cliniquement bipolaire, avec une voix puissante et bouleversante tant dans les textes déclamés que dans les nombreux passages chantés en live accompagné par la musique de Julien Vasnier où l’on peut apprécier son timbre exceptionnel (mezzo-soprane).

Une femme blessée, malheureuse

La pièce est réussie car elle rend cette vedette oubliée touchante, malgré son caractère de diva excessive qui pourrait être détestable et insupportable. Au contraire, tout nous pousse en tant que spectateurs à avoir de l’empathie pour ce personnage qui n’est en fait qu’une femme blessée et malheureuse, qui cache son cancer.

Pour faire face à la maladie, il ne lui reste que quelques rares distractions, boire du champagne, faire des emplettes à Paris chez les plus grands créateurs. En effet, la virée shopping où elle embarque à Paris le jeune Ricardo, n’est autre qu’un alibi, un prétexte pour camoufler la vraie raison de ce voyage : un rendez-vous à l’hôpital où elle est suivie pour un cancer.

La mise en scène et l’interprétation brillante de Jina Djemba, nous permettent d’aller au delà de cette image de cette fillette (Nina vient de l’espagnol Ninà) devenue une artiste capricieuse.

« Ce ne sont pas des caprices mais des revanches !« 

Nina Simone

Revanche sur cette vie difficile, où depuis enfant son plus grand rêve est de devenir une grande pianiste classique noire. Rêve brisé car elle se verra refuser l’entrée à la prestigieuse école du Curtis Institut, alors qu’elle était une brillante pianiste promise à une grande carrière, refus avec pour simple motif : le fait d’être noire. Blessure, dont elle ne guérira jamais et gardera une rancœur éternelle.

Pour se venger, elle s’amuse, à tyranniser les jeunes journalistes blancs venus l’interviewer qui osent la comparer à Billie Holiday, elle qui veut être l’égale de Maria Callas qu’elle juge être sa seule véritable « sœur » digne de comparaison.

Jina Djemba incarne Nina Simone dans Miss Nina Simone au TLSP. (c) TLSP

Un engagement anti-racisme depuis l’enfance

Rare flasback de la pièce : un clin d’œil à l’enfance de la petite génie du piano Eunice Kathleen Waymon, qui depuis l’âge de 3 ans enchaine, assise bien droite sur son tabouret de piano 8 heures d’entraînement quotidiens et acharnés. Sa mère était révérende, et la petite fille jouait sur l’orgue de l’église. Alors qu’elle est âgée de 10 ans, elle refuse de jouer son récital de piano devant un couple blancs qui veut chasser ses parents du premier rang car ils sont noirs.

« Si mes parents ne s’assoient pas au premier rang, je ne joue pas.« 

Nina Simone

Militante engagée anti-racisme depuis l’enfance où cette anecdote restée célèbre montre à quel point elle s’insurgeait contre l’injustice. Nina Simona a combattu toute sa vie pour les droits civiques des noirs aux Etats-Unis.

Puis, n’en pouvant plus du racisme ambiant, elle quitte les Etats-Unis pour la France :  » les United Snakes of America » comme elle aimait dire avec dégoût : « Les américains sont des serpents ! ».

Si on assiste au déclin d’une immense star qui a connu la consécration pour finalement se retrouver seule dans une vie trop grande pour elle et ses rêves, la fin de la pièce n’est pas synonyme de la mort de Nina Simone (qui est décédée en 2003). Nina Simone est immortelle car son talent a marqué l’histoire de la musique à tout jamais … Cette pièce qui est une réussite permet de raviver son souvenir sans caricatures.

Jina Djemba et Valentin de Carbonnières dans Miss Nina Simone au TLSP. (c) TLSP

Une belle pièce à voir jusqu’au 3 janvier 2021, éclairante sur la vie de cette femme extraordinaire pleines de contradictions. Artiste au destin contrarié qui n’était pas vouée à chanter, mais à commencer à chanter dans les bars pour gagner sa vie et aider sa famille qui se sacrifiait pour sa réussite. Et si comme dans le documentaire « What happened to you Miss Simone ? », vous vous posez encore la question de ce qui a bien pu se passer, comment on passe de la consécration au passage du désert, allez voir la pièce !

Théâtre La Scène Parisienne 34 rue richer 75009 Paris

Billetterie : Plein tarif à partir de 18 euros (cat.2), 25 euros (cat.1) et 30 euros (carré or)

Réservez votre billet ici à 19h du jeudi au samedi et le dimanche à 17h (durée du spectacle 1h15)

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