12 octobre 2020

Au Musée de la toile de Jouy, l’exposition Fibres Africaines tisse des liens

Une exposition sous forme de voyage coloré à travers les savoir-faire, les techniques, les matières et les particularismes culturels des 54 pays du continent africain. Un tour d’horizon complet et passionnant, qui témoigne de la très grande richesse de ce patrimoine immatériel. Visite commentée avec les commissaires Anne Grosfilley et Danilo Lovisi, comme si vous y étiez.

Les commissaires de l’exposition Danilo de l’espace Culturel Gacha (à gauche), Anne Grosfilley (au centre) et Charlotte du Vivier-Lebrun directrice du Musée de la Toile de Jouy. (c) Photo Claire Nini

Une exposition qui rend hommage aux savoir-faire historiques et d’exception du continent africain

« Les textiles d’Afrique racontent une histoire de plus d’un millénaire. »

Anne Grosfilley, Catalogue Fibres Africaines aux éditions Silvana Editoriale

Cette exposition est donc un voyage à travers les siècles. En effet, certaines techniques comme l’indigo sont des savoir-faire séculaires, qui remontent à l’Egypte pharaonique. Vêtements royaux, cérémoniaux, créations de stylistes, vêtements du peuple, tissus funéraires… Sur le continent africain, le vêtement est crée en fonction du prestige de la personne qui le porte et non pas de sa morphologie. Ainsi, on peut voir des petits rois qui sont exagérément mis en scène dans de très longs métrages de tissus, explique la spécialiste des textiles africains Anne Grosfilley lors de la visite guidée. Teintures, broderies, impressions, tampons, techniques de perlage… Cette exposition est un hommage fascinant à l’excellence des artisans africains qui tissent, teignent, brodent depuis des milliers d’années.

Certaines pièces sortent pour la première fois du continent africain pour être présentées dans cette exposition, c’est le cas du Ndop du Cameroun.

« C’est exceptionnel, ces pièces anciennes sont montrées en France pour la première fois. Il y a trois styles de Ndop : le bamiliké, le bamoun et le wukari. La particulatité du Ndop bamoun ce sont ces camaïeux de bleus, dont personne ne connaît la recette car seuls les artisans en ont le secret et gardent le mystère de ce savoir-faire. » présente fièrement Danilo Lovisi.

Danilo Lovisi présente les différentes styles de NDOP. (c) Photo Claire Nini

Industrie et artisanat : une relation d’interdépendance complexe encore aujourd’hui…

« L’histoire de wax c’est une époque où l’Europe vendait des glaces aux esquimaux ! » rappelle non sans ironie l’anthropologue et co-commissaire de l’exposition Anne Grosfilley pour expliquer les relations complexes entre industrie et artisanat.

Les liens entre l’Europe et l’Afrique remontent à une époque historique douloureuse : celle du commerce triangulaire. En effet, à l’époque de l’esclavage, les perles de verres étaient une monnaie d’échange précieuse pour acheter des esclaves, souligne Danilo Lovisi.

L’industrie a toujours été liée aux savoir-faire artisanaux. On apprend notamment dans la visite que le bazin est une invention française du lyonnais Joseph Jacquard qui est à l’origine de cette technique, aujourd’hui emblématique de l’Afrique subsaharienne et très populaire au Mali. D’autres exemples viennent illustrer ce lien d’interdépendance entre industrie et artisanat. On découvre également que les kentés royaux ashenti sont crées à partir de foulards de soie importés d’Italie qui sont détissés pour réutiliser leurs fils.

Le bazin du Mali. (c) Photo Claire Nini

La toile de Jouy, célébrée dans ce musée qui abrite cette exposition, est quand à elle un héritage d’ une technique ancestrale indienne. L’industrie a toujours cherché à sublimer les techniques ancestrales traditionnelles pour les commercialiser au plus grand nombre.

« De manière paradoxale, si on veut soutenir les artisans il faut penser industrie » explique Anne Grosfilley.

Selon Danilo Lovisi, les savoir-faire artisanaux sont en péril :

« Aujourd’hui les chinois copient les techniques, les perles ne sont plus en verre, mais en plastique. Elles ne sont plus perlées selon la technique de perlage bamiliké mais collées directement sur le tissu ou des objets vendus aux touristes. »

Si les techniques sont africaines, encore faut-il se poser la question de la provenance des matières premières comme le coton …

Préserver le patrimoine textile africain : une exposition qui pose la question de l’authenticité des tissus africains

Perlage bamiliké traditionnel. (c) Photo Claire Nini

Même si les savoir-faire sont artisanaux et africains, les matières premières comme le coton ont souvent d’autres provenances. Il n’est pas rare de tomber sur du coton ouszbek, ironise Anne Grosfilley qui pose une question essentielle : celle de l’authenticité des textiles africains, de leur traçabilité et de la labélisation en apparence éthique « Made in Africa ».

Mais alors quelle signification a l’expression « vrais tissus africains » quand 98% du coton cultivé en Afrique n’est pas transformé sur le continent mais majoritairement en Asie avant de revenir en Afrique sous forme de fils prêts à tisser ou de tissus à teindre ?

Visite guidée avec Anne Grosfilley. (c) Photo Claire Nini

En effet, Anne Grosfilley explique avoir été témoin dans les années 90 d’une désindustrialisation post-indépendances assez catastrophique d’un point de vue économique. Voici le triste constat dressé par Anne Grosfilley :

« Avec la fermeture de nombreuses filatures depuis les années 90, on observe une rupture dans la chaine qui a considérablement fragilisé ces industries du textile sur le continent car avec la dévalorisation du franc CFA, vendre les matières premières est devenu plus rentable que de les transformer localement. »

L’exposition didactique pousse le visiteur à être curieux, et à lire les étiquettes pour ne pas tomber dans des pièges que seule une spécialiste et experte comme Anne Grosfilley peut déjouer au premier coup d’œil.

Anne Grosfilley met en garde contre la consommation non-africaine. Si certains tissus panafricains (mais made in China) sont très à la mode car médiatisés et portés par les plus grandes stars de Maitre Gims à Rihanna comme étant des signes d’appartenance et de reconnaissance forts à une communauté afro, ils ne participent aucunement aux économies africaines.

« Les tissus qui sont souvent des étendards d’africanité, n’ont paradoxalement aucun impact économique sur le continent » précise t-elle.

Quand le président Thomas Sankara est arrivé au pouvoir en 1983 au Burkina Faso, il découvre le travail des femmes tisseuses et organise leur travail en coopérative. Il lance le concept du « Faso Danfani » : le pays doit s’habiller en tissage local. Les fonctionnaires qui ne portaient pas le dan fani, et qui refusaient de s’habiller en local le vendredi n’étaient tout simplement pas payés.

Si le fait de s’habiller en local a pu être boudé pendant une période, la tendance s’est inversée lorsque des stylistes africains ont vu leur succès s’internationaliser. C’est le cas du créateur burkinabé Pathé’O (installé en Côte d’Ivoire) qui a conçu des chemises pour Nelson Mandela. Aujourd’hui constate Anne Grosfilley :

« Même si tous les Ivoriens n’ont pas les moyens de se payer du Pathé’O, ils préféreront néanmoins consommer local en faisant faire des chemises chez leur couturier de quartier, selon le style de Pathé’O, plutôt que de faire reproduire des modèles copiés dans les catalogues La Redoute. Je constate depuis des années un retour au local plutôt qu’à une mode occidentale, même chez les jeunes ! »

Les créateurs de mode contemporains s’emparent des matières et des techniques artisanales pour les sublimer.

L’exposition est parsemée de créations de la styliste Ly Dumas qui est également la fondatrice et présidente de la Fondation Gacha au Cameroun. On retrouve notamment dans la boutique du Musée de nombreuses pièces de créateurs et designers contemporains dont des créations textiles monumentales de Toubab Paris.

Dragon Indigo. Création Toubab Paris. (c) Photo Claire Nini

Dans les collections permanentes du musée, on retrouve quelques unes des créations Christian DIOR de la collection Croisière-Cruise 2020, fruit de la collaboration d’Anne Grosfilley qui n’est pas seulement anthropologue mais aussi consultante pour les grandes maisons de haute couture.

Les créateurs de mode subliment les matières et valorisent le travail des artisans, pour que l’industrie de la mode et du luxe réinvestisse dans ces savoir-faire traditionnels. CQFD…

Cette exposition est une proposition curatoriale inédite très documentée et sublimée par une scénographie signée Hélène Dubreuil. Suite à l’énorme succès du wax en Europe et plus particulièrement en France ces dernières années, cette exposition vient à point nommé comme le chainon manquant ouvrant les consciences sur d’autres possibles. Pendant six mois, elle va permettre d’éduquer un public à la très grande richesse et à l’extraordinaire diversité des textiles africains tels que le bogolan, le kenté, le ndop, ou encore le bazin qui sont enfin à l’honneur.

A voir absolument jusqu’au 28 mars 2021.

Fibres Africaines

Exposition au Musée de la Toile de Jouy à Jouy-en-Josas (78)

Sous le commissariat de Anne Grosfilley et de l’Espace Culturel Gacha

Pour aller plus loin :

Découvrez le magnifique catalogue

Ecoutez le Podcast Afrotopiques dans un atelier de bogolan au Mali

Une autre très belle exposition à découvrir à la Galerie Mam

Expo à la Galerie Mam, à Douala au Cameroun. (c) Galerie Mam

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Commentaires

Nelson Graves
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