Stop Ma Pa Ta : les artistes béninois s’exposent à la Villa Arson à Nice

Article : Stop Ma Pa Ta : les artistes béninois s’exposent à la Villa Arson à Nice
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3 août 2017

Stop Ma Pa Ta : les artistes béninois s’exposent à la Villa Arson à Nice

Quatorze artistes béninois du Centre Arts et Cultures Lobozounkpa de Cotonou s’invitent à la Villa Arson – Centre d’art à Nice, le temps de l’exposition « Stop Ma Pa Ta » jusqu’au 17 septembre 2017. Grand mécène, à l’initiative de ce projet inédit : c’est la Galerie Vallois (Paris) qui a fait le lien entre les deux centres d’art. Visite guidée des œuvres et retour en images et en citations d’artistes sur cette très belle exposition à la fois poétique et politique.

Entrée de l'exposition Stop Ma Pa Ta - Villa Arson Nice - Copyright photo : Claire Nini
Entrée de l’exposition Stop Ma Pa Ta – Villa Arson Nice – Copyright photo : Claire Nini

Jean-Pierre Simon, actuel directeur de la Villa Arson et ex- directeur du Centre Culturel français de Cotonou s’enthousiasme :

« Je souhaite par cette exposition à la Villa Arson faire connaître et partager la puissance de la création béninoise. J’y retrouve aujourd’hui le même esprit, les mêmes signes qu’il y a quarante ans lorsque je programmais les expositions au CCF. L’esprit de dialogue entre les générations, les cultes traditionnels, l’inspiration des ancêtres, l’invention plastique des artisans jouant avec la tradition et la modernité,la profondeur d’une pensée politique…Cette exposition inaugure, je l’espère, un cycle de collaboration entre la Villa Arson et le Centre Arts et Cultures Lobozounkpa de Cotonou, notamment au travers d’un programme de résidences croisées. »

Le titre de l’exposition « Stop Ma Pa Ta » emprunté à l’oeuvre éponyme de l’artiste Benjamin Déguenon peut se traduire par : Ma matière première n’est pas ta matière. Cette interjection donne d’emblée le ton à cette exposition qui met en scène des sujets politiques et sociétaux. Elle illustre avec ironie la lucidité de l’artiste et du pays tout entier sur l’exploitation abusive des ressources africaines par les pays occidentaux.

« Avec Stop Ma Pa Ta, je veux dénoncer la manière dont les ressources, en particulier minières, du continent africain, sont exploitées dans le mépris des peuples par les compagnies étrangères. A quand la fin d’une telle manipulation des africains comme des marionnettes ? C’est aussi pour moi, à travers cette installation, une occasion de rendre hommage aux victimes passées de l’esclavage. » explique Benjamin Déguenon.

Dès le jardin de la Villa Arson, les œuvres et installations « Bienvenue en Afrique France » d’ Edwige Aplogan aux couleurs des drapeaux africains colonisent les oliviers et accueillent les visiteurs dans un nouveau territoire.

Un peu plus loin, à l’entrée de l’exposition dans le Centre d’art, autre installation de l’artiste : des billets de francs CFA des anciennes colonies en pagaille inondent le sol et interrogent sur la légitimité de cette monnaie produite en France pour des pays pourtant indépendants depuis plus de cinquante ans. Oeuvre percutante et immédiatement efficace .

« Cette monnaie arrimée à l’euro et donc à la France, maintient les pays africains francophones dans une relation dominant/dominé et reste un des derniers vestiges d’une colonisation qui tarde à être abolie » confie l’artiste Edwidge Aplogan.

Edwige Aplogan - Installation billets francs CFA. Copyright photo : Claire Nini
Edwige Aplogan – Installation billets francs CFA. Copyright photo : Claire Nini
Edwige Aplogan - Installation billets francs CFA. Copyright photo : Claire Nini
Edwige Aplogan – Installation billets francs CFA. Copyright photo : Claire Nini

Quand les œuvres ne traitent pas de la France Afrique ou des relations diplomatiques et monétaires, il est largement question dans cette exposition de la problématique migratoire évoquée par de nombreux artistes béninois. En effet, ce sont souvent des problèmes économiques qui motivent ces personnes à quitter leur pays et à tenter l’aventure. Cette thématique tristement d’actualité est aussi un clin d’œil historique car le Bénin fût un pays très marqué par l’esclavage.

A travers une série de douze dessins réalisés à l’encre de Chine, Didier Viodé rend hommage à tous ces voyageurs de l’impossible et à leur lutte quotidienne pour leur survie dans des eldorados qui s’avèrent souvent hostiles.

Didier Viodé - Dessin de la série Migrants. Encre de chine sur papier. Copyright photo : Claire Nini
Didier Viodé – Dessin de la série Migrants. Encre de chine sur papier. Copyright photo : Claire Nini
Richard Korblah - Installation Des ponts, pas des murs. Copyright photo: Claire Nini
Richard Korblah – Installation Des ponts, pas des murs. Copyright photo: Claire Nini

Les quatre personnages sculptés de Richard Korblah sont dans un voyage qui semble s’être figé dans le temps. Depuis combien de temps sont-ils là ? Où vont-ils ? Combien de kilomètres ont-ils déjà parcouru ? Combien de kilomètres à parcourir encore jusqu’à la destination finale ?

 » Mon installation parle des déplacés, victimes des conflits armés, des religions, de la politique ou des problèmes économiques. Quatre personnages sont entourés de leur colis, immobiles, comme dans l’attente d’une liberté incertaine. » raconte Richard Korblah.

Gérard Quenum, entasse des têtes de poupées aux cheveux cramées dans son installation en forme de pirogue qu’il a baptisé, non sans ironie : « Voyage vers Mars » pour illustrer le côté surréaliste de cette situation migratoire absurde qui persiste et semble être sans fin.

« Bateaux, immigration de masse, j’appelle aussi cette installation Voyage vers mars. Quand on voit des gens qui quittent leur pays pour aller sur un autre continent, c’est comme s’ils quittaient la terre pour aller sur une autre planète car la terre est devenue invivable. Alors, ils auraient l’espoir que sur une autre planète, sur Mars, ce serait mieux. Cette fiction devient réalité avec ceux qui essaient par tous les moyens de traverser les mers pour échapper aux guerres, à la pauvreté, à la violence, à l’avancée des déserts. Les gens sont désespérés. Ils risquent leur vies pour aller vers Mars ». affirme Gérard Quenum.

Dominique Zinkpé - Installation - Le Voyage. Copyright photo : Claire Nini
Dominique Zinkpé – Installation – Le Voyage. Copyright photo : Claire Nini

Les figurines « hôhô » de Dominique Zinkpé forment elles aussi une embarcation de fortune entourée de tongs multicolores de toutes les tailles, vestiges d’un voyage réel ou fictif où il ne reste plus que cette trace de vie humaine.

 » La pirogue que je montre ici, symbolise le voyage. Il y a des voyages qui ne sont pas choisis, qui nous sont imposés. Tout en restant des voyages. Le sujet de l’esclavage est souvent traité avec des chaînes, des êtres en souffrance. Je veux le traiter de façon plus légère, plus poétique, avec des personnages debout, parés. Le voyage à notre époque suppose des passeports numériques, des moyens de transports sophistiqués. Dans cette oeuvre au contraire, il y a dépossession de l’identité, destination inconnue, perte de repères. » commente Dominique Zinkpé, artiste et directeur du Centre d’art de Cotonou depuis 2014.

Dominique Zinkpé - Installation - Le Voyage. Copyright photo : Claire Nini

Dominique Zinkpé – Installation – Le Voyage. Copyright photo : Claire Nini

Ce sont les mêmes statuettes que l’on retrouve dans l’oeuvre intitulée « Globe » de Dominique Zinkpé.

« Quant au globe, c’est le monde qui contient tous les éléments, la terre, l’air, les mers. Il a été donné en partage à l’homme, à tous les hommes. Mais le partage des territoires n’est pas équitable. Il faut œuvrer pour plus d’harmonie. Il faut réveiller les consciences. » s’indigne Dominique Zinkpé.

Dominique Zinkpé - Globe. Copyright photo : Claire Nini
Dominique Zinkpé – Globe. Copyright photo : Claire Nini
Dominique Zinkpé - Globe - détail de l'oeuvre. Copyright photo : Claire Nini
Dominique Zinkpé – Globe – détail de l’oeuvre. Copyright photo : Claire Nini

Enfin, la tradition vaudou et la vie quotidienne sont également largement illustrées par les œuvres des artistes béninois.

Les masques en bois peints de Kifouli Dossou sont autant de scènes familiales, culturelles, rituelles ou sociétales. Mais derrière l’apparente naïveté de ces personnages, il y a toujours beaucoup d’humour et matière à réflexion sur des sujets aussi variés que la polygamie, l’éducation, la chasse, ou la dépigmentation de la peau.

« Je suis un sculpteur de Gélédé. Dans ma tradition, le le Gélédé est sacré. Il est montré lors des cérémonies pour des rituels. Je m’inspire de ma tradition pour essayer d’éduquer, de sensibiliser. » déclare Kifouli Dossou.

Kifouli Dossou - Masque Glélé. Copyright photo : Claire Nini
Kifouli Dossou – Masque Glélé. Copyright photo : Claire Nini
Kifouli Dossou - Masque Glélé. Copyright photo : Claire Nini
Kifouli Dossou – Masque Glélé. Copyright photo : Claire Nini

La sculpture Coiffe paysanne universelle de Richard Korblah dénonce le problème du manque d’eau en Afrique.

« Il y a des régions où on voit des femmes chargées de bidons pour aller puiser de l’eau au loin, à longueur de journée. Il y en a tellement qu’on ne voit plus leurs cheveux. » explique Richard Korblah.

Richard Korblah - Coiffure paysanne universelle. Copyright photo : Claire Nini
Richard Korblah – Coiffure paysanne universelle. Copyright photo : Claire Nini

Dans le texte du catalogue d’exposition, Eric Mangion, co-commissaire de cette exposition, mettait en garde contre plusieurs écueils en ces termes :

 » L’Afrique devient un marché, elle est donc bankable. Ce constat est certes un peu cynique, mais il a pour but de rappeler que l’Occident n’a toujours pas fini d’entretenir avec l’Afrique des relations ambiguës. Ce que l’on nomme conceptuellement « post-colonialisme » pourrait se résumer plus prosaiquement par  » colonialisme tardif ». Il est donc difficile d’organiser une exposition d’artistes africains sans avoir toutes ces idées en tête. Comment éviter la carte de la fausse candeur, l’exotisme sympathique, les discours manichéens ou tout simplement les jugements raccourcis, qu’ils soient sociologiques ou esthétiques ? » 

Eric Mangion peut être rassuré. Pari réussi pour cette très belle exposition qui donne à voir une scène artistique plurielle et vibrante loin des clichés misérabilistes sur l’Afrique. Cette exposition est un véritable hommage à tous ces artistes béninois et à leur talent dans un pays où il n’y a pas d’école d’art.

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